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Violence au travail : indemnisation et manquements graves de l’employeur entraînant la résolution judiciaire du contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 juin 2023, R.G. 2021/AB/280 – 2021/AB/341

Mis en ligne le lundi 15 janvier 2024


C. trav. Bruxelles, 28 juin 2023, R.G. 2021/AB/280 – 2021/AB/341

Dans un arrêt du 28 juin 2023, la cour du travail de Bruxelles prononce, à l’instar du tribunal, la résolution judiciaire d’un contrat de travail, pour manquements graves de l’employeur à ses obligations légales et contractuelles, résolution ouvrant le droit à des dommages et intérêts équivalents à l’indemnité compensatoire de préavis.

Les faits

Deux employées d’une société, engagées respectivement en 2001 et 2003, avaient éprouvé, depuis l’année 2016, des difficultés croissantes vis-à-vis de leur employeur et d’un autre membre du personnel : elles sollicitèrent l’intervention du conseiller en prévention aspect psycho-sociaux dans le cadre d’une demande d’intervention formelle. Celui-ci communiqua son rapport contenant diverses mesures de prévention (individuelles et collectives), devant être mises en place par l’employeur.

Ce dernier refusa de communiquer le rapport en cause et les deux intéressées introduisirent une procédure devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles aux fins d’entendre ordonner la communication d’une copie de l’avis complet. Il fut fait droit à leur demande par jugement du 6 février 2018, avec condamnation à une astreinte.

La société s’exécuta.

Entre-temps, les deux employées se représentèrent au travail et un huissier de justice, mandaté par la société, répercuta les propos de l’employeur selon lesquels le en raison d’une perte de confiance dans les relations de travail et vu l’imminence de l’introduction d’une procédure pénale, les intéressées étaient dispensées de prester, tout en percevant leur salaire « jusqu’à ce que le tribunal dira ». Dans la même journée, celles-ci se présentèrent à nouveau au travail accompagnées d’un huissier de justice qui, pour sa part, constata qu’elles ne pouvaient se présenter sur le lieu du travail et que le refus d’accès émanait du gérant de la société.

Les employées mirent alors leur employeur en demeure de procéder au paiement de la rémunération du mois précédent et l’une des deux introduisit une procédure judiciaire vu la persistance du non-paiement.

Cette procédure a pour objet la résolution judiciaire du contrat de travail et la condamnation à des dommages et intérêts, ainsi que la réparation d’un préjudice moral en raison d’un harcèlement et enfin le paiement d’arriérés de rémunération et de la prime de fin d’année.

La société constata alors une absence injustifiée, qui fut contestée.

L’employée annonça cependant son retour et trois jours avant la date de celui-ci fit parvenir un certificat médical attestant de son incapacité de travail.

La procédure se poursuivit. Dans le cadre de celle-ci, une demande reconventionnelle en remboursement de rémunération fut introduite par la société.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 8 janvier 2021, le tribunal reconnut l’existence d’un harcèlement et condamna la société au paiement d’une indemnité de l’ordre de 10 000 € suite à celui-ci. Il prononça la résolution judiciaire du contrat aux torts et griefs de la société et condamna celle-ci à des dommages et intérêts correspondant à une indemnité de préavis de 13 mois et 21 semaines. La demande de paiement de dommages et intérêts pour dommage moral fut rejetée et de même pour la demande reconventionnelle.

Appel est interjeté par la société ainsi que par son gérant, tous deux présents à la cause. L’appel porte sur l’ensemble du dispositif du jugement, la société maintenant par ailleurs la demande reconventionnelle introduite en première instance.

L’employée forme également appel du jugement à l’encontre du gérant, demandant à la cour de condamner celui-ci solidairement avec la société au paiement d’une indemnité équivalant à six mois de rémunération soit un montant de l’ordre de 21 000 €. Elle introduit également une demande nouvelle relative à des pécules de vacances.

La décision de la cour

La cour reprend très brièvement les principes en matière de harcèlement, rappelant la définition de celui-ci, la réparation légale, le principe de la responsabilité de l’employeur en vertu de l’article 1384 alinéa 3 de l’ancien Code civil en raison du dommage causé par la faute de ses préposés dans les fonctions auxquelles il les a employés ainsi qu’en matière de preuve. Elle précise à propos de la violence au travail que celle-ci ne requiert pas de répétition de tels actes.

En l’espèce, s’appuyant sur le rapport du conseiller en prévention aspects psycho-sociaux, elle estime que l’employée établit des faits faisant présumer l’existence de violence au travail de la part d’un collègue.

Dans son appréciation des faits, elle conclut que les seules dénégations de l’intéressé ne permettent pas de renverser la présomption légale puisqu’elle n’émane pas d’un tiers qui aurait été témoin de faits mais de la personne concernée elle-même. En conséquence, ces faits suffisent à justifier la demande de dommages et intérêts forfaitaires sur pied de l’article 32 decies, § 1/1, de la loi du 4 août 1996 à l’encontre de la société en sa qualité d’employeur.

La cour en vient ensuite à la question de la résolution judiciaire, rappelant le fondement de ce mode de rupture, fondement civiliste (article 1184 de l’ancien Code civil). La société sollicitant que celle-ci intervienne aux torts de l’employée, la cour constate qu’elle n’établit pas que celle-ci avait commis des actes déloyaux (concurrence en l’espèce) en cours de contrat et, en l’absence de preuve de manquements importants ou graves dans le chef de cette dernière, conclut que la résolution judiciaire ne peut être prononcée à ses torts (exclusifs ou partiels). Elle rejette également une demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

En revanche, en sa qualité d’employeur, la société a commis plusieurs manquements graves à ses obligations : faits de violence du collègue auxquels l’employeur a apporté une réaction inadéquate, interdiction d’effectuer des prestations de travail (manquement qui a perduré dans le temps), non-paiement de la rémunération et obligation pour l’employée d’introduire une action judiciaire afin d’obtenir le rapport du conseiller en prévention. Dans leur ensemble, ces manquements doivent être reconnus comme suffisamment graves pour justifier la résolution judiciaire, celle-ci étant prononcée avec effet rétroactif à la date de la demande en justice. Le contrat de travail étant un contrat à prestations successives, aucune prestation non susceptible de restitution n’a en l’espèce plus été fournie après cette date.

Pour ce qui est des dommages et intérêts, la cour précise qu’il y a lieu de suivre les règles en matière de détermination du préavis en cas de licenciement, dès lors qu’à défaut d’éléments qui conduiraient à une autre appréciation, ce calcul permet de réparer forfaitairement le préjudice matériel et moral causé par la rupture unilatérale du contrat.

La cour examine enfin les chefs de demande plus factuels relatifs d’une part au remboursement de la rémunération (demande de la société) et à des pécules de vacances (demande nouvelle de l’employée).

Intérêt de la décision

L’article 32 ter de la loi du 4 août 1996 est invoqué dans cette affaire à propos de faits de violence au travail, celle-ci étant définie comme chaque situation de fait où un travailleur (...), est menacé ou agressé psychiquement ou physiquement lors de l’exécution du travail.

La cour rappelle ici la spécificité de ce cette notion, qui ne requiert pas de répétition des actes visés. Par ailleurs, sur le plan de la preuve, ne sont pas recevables les dénégations de l’auteur à qui les actes sont imputés, celles-ci ne suffisant pas à renverser la présomption légale, dans la mesure où elles n’émanent pas d’un tiers qui aurait été témoin de faits mais de la personne concernée elle-même. La cour rappelle ici que l’employeur est responsable pour les faits de violence retenus dans le chef d’un de ses préposés.

Sur la réparation, la cour rappelle que la partie fautive peut être condamnée à des dommages et intérêts et que ceux-ci peuvent être équivalents à une indemnité compensatoire de préavis. Elle renvoie ici à la doctrine de P. CRAHAY (P. CRAHAY, « Modifications des conditions de travail et résolution du contrat », J.T.T., 1985, page 47). Ces dommages et intérêts peuvent cependant être évalués d’une autre manière, les montants accordés pouvant être inférieurs ou supérieurs à l’indemnité de rupture, s’ils sont justifiés (avec renvoi ici à M. DAVAGLE "La résolution judiciaire du contrat de travail », Ors., 2008 page 6).


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